Voyage dans le Haut Moyen-Age (Part. 2)

La Vouerie de Nivelle

par  Joseph VELDMAN 

La commune de Lixhe qui comprenait les villages de Lixhe, Loën et Nivelle avec l’appendice d’Enixhe au bord du Geer entre Wonck et Eben-Emael n’était en fait qu’une partie de l’immense domaine que fut jadis la Vouerie de Nivelle dite aussi de la Vallée, qui englobait primitivement les anciennes communes de Haccourt, Lixhe et Lanaye avec des enclaves à Eben et à Castert-Eysden.

 

Etymologie 

Certains auteurs voudraient voir dans le nom de Lixhe l’endroit où s’établirent les « Leati Lagenses » de la Notitia Dignatorum, mais nous croyons plus logique de rapprocher le nom de Lixhe (Lysia en 1111, Lise en 1160 et 1180) d’autres noms de lieux de la région, comme Préixhe, Oulpixhe, Droixhe, Enixhe, etc… tous lieux se trouvant au bord d’une rivière ou d’un fleuve. Or, en wallon le X ne se prononçant pas, ces noms deviennent LihePréihe, etc… Jusqu’à preuve du contraire, le nom de Lixhe signifie pour nous la rivière (de Meuse) n’étant que le dérivé du celtique iskhâ signifiant poisson ou pêcherie. Or, depuis des temps immémoriaux, les pêcheries de Lixhe ont joui d’une renommée certaine. Ces ixhes ne sont vraisemblablement que la forme romane des ysches du pays Thiois.
Dans les villages flamands de la rive gauche de la Meuse, les habitants désignent encore souvent Lixhe sous le nom de Yser ou Yseren où l’on retrouve facilement Isara ou rivière des Latins. Quant à Nivelle, la première graphie connue étant Niviala, on y voit le celtique niwialha ou nouveau temple. Pour sa part, Loën, première graphie Lones, il n’est sans doute qu’un de ces Loneux ou bois d’aulnes si nombreux dans la partie wallonne de notre pays. Signalons encore qu’un lieu-dit Lhoneux, proche de Loën, existe encore à Haccourt.

Les Voués

La Vouerie de Nivelle était partie intégrante du domaine des Princes-Evêques de Liège qui l’administraient par l’entremise d’un Voué chargé de défendre par les armes les biens du prince. Au XIII’ siècle, le Voué de Nivelle avait sous ses ordres les hommes d’armes de la Seigneurie épiscopale de Breustet-Eysden et ceux qui défendaient les tours de Lixhe, c’est-à-dire la Vouerie de Nivelle, une tour à Loën, une tour dit de Lixtenborg à Lixhe (à l’emplacement des bâtiments communaux) et une autre tour encore debout dans la propriété de Monsieur Alphonse Juprelle dont elle forme l’angle Sud-Est.


Les premiers Voués appartiennent à la maison de Nivelle, de 1054 à 1288 au moins, la famille s’éteignant en 1430 environ (?). Le dernier Voué du nom, Leone III n’eut que des filles. Or, à défaut de descendance mâle, la vouerie de Nivelle passait dans la branche aînée féminine. Il est à peu près certain aujourd’hui que l’une de ses filles épousa Gérard de Navagne qui dut être Voué quelque temps entre 1288 et 1329, année où nous voyons Gérard Printe I fonctionner comme Voué de Nivelle, ayant épousé Françoise de Navagne, alias Françoise de Nivelle, du nom de sa mère. Le domaine resta aux Printe de Warancelle jusqu’en 1485, puis par mariage passa dans la famille de Bois, jusqu’en 1597, puis aux Massillon de Nivelle qui la conservèrent jusqu’en 1695. La Vouerie devint ensuite l’apanage des Rossius de Liboy, Gallez, Grisar et de la Tour.
C’est le père de Jean-Jacques de la Tour, dernier Voué de Nivelle qui fit édifier au bord de la Meuse la belle propriété ayant appartenu à Mademoiselle Gabrielle de Coune et au fronton de laquelle figurent les armes des de la Tour et de Hazinelle. [Grâce à un généreux don à la Fondation Roi Baudoin,  de la part de sa dernière propriétaire, la demeure est aujourd’hui une « Maison Abbeyfield« ]. Le curé de Lixhe, dans son registre paroissial note qu’il a béni cette demeure le 11 octobre 1732.
 
 
 
 

La cour de Justice

Jusqu’à l’engagère de la Vouerie en 1616, le Voué de Nivelle avait, entre autres privilèges, celui de nommer les membres de la Cour de Justice de Nivelle. Aux XVIle et XVIII(‘ siècles, la Cour tenait ses séances dans une salle de l’auberge Clockers, rue de la Halle à Lixhe, salle que nos échevins nommaient « leur chambre scabinale » ou bien encore « nostre consistoire » .
Les assemblées du peuple ou les plaids généraux avaient lieu à Nivelle, sur la place du Tige. Les mayeurs (connus de 1260 à 1793) et les échevins avaient pour mission principale de rendre la justice, les affaires civiles étant réglées par les bourgmestres de la communauté. Mais nos mayeurs et échevins ne prononcèrent jamais aucune peine de mort. Par contre, il leur arriva de pendre ou de faire rouer des meurtriers ou des malfaiteurs, ou bien encore de faire brûler des sorcières, mais alors ils ne faisaient qu’appliquer les peines prononcées par la Haute Cour de Liège.
Il y avait aussi à Nivelle, une Cour Foncière dont les attributions principales étaient de veiller à la protection des biens des Voués et des Princes-Évêques de Liège. Pour authentiquer les actes délivrés par elle, la Cour Foncière faisait usage au X Vile siècle d’un sceau rond où se voyaient les armes de Nivelle « Vairé d’argent et de gueules » posées sur la poitrine d’une aigle éployée avec en exergue la légende « La Justice Foncière de la Vouerie de la Terre et Hauteur de Nivelle ». La commune de Lixhe avait obtenu reconnaissance de ces armes et l’arrêté royal du 12 septembre 1967 les blasonnent ainsi « Vairé d’argent et de gueules, l’écu placé sur la poitrine d’une aigle éployée d’or ».

Les Seigneurs de Nivelle

En 1616, les finances de la Principauté étaient en bien mauvais état, ce qui amena le Prince à engager un certain nombre de Seigneuries dont celle de Nivelle. Celle-ci fut donnée en engagère à Crispin Massillon qui en était déjà le Voué. Désengagée peu après, elle fut finalement acquise par Gérard de Loën, descendant d’une longue lignée de militaires au service du Pays de Liège. Nous ne reviendrons pas ici sur les nombreux démêlés qu’il eut avec les Massillon, restés Voués de Nivelle. Gérard de Loën, dont on peut encore admirer la belle pierre tombale dans le transept de l’église de Lixhe, décéda en 1646, laissant la seigneurie divisée entre sa jeune femme, Théodora Raves-cotte de Capelle et sa soeur, Catherine de Loën. Celle-ci par testament, laissa sa part d’héritage à sa nièce, Jeanne-Hélène de Gulpen, fille de Thierry de Gulpen, Seigneur de Berneau et Bombaye et de Hélène de Loën, autre soeur de Gérard. Par mariage, la seigneurie passa dans les familles de Waha et de Méan, puis aux Paludé et aux de Villenfagne de Loën qui en furent les derniers Seigneurs temporels. C’est de l’union de François-Antoine de Méan, seigneur de Nivelle et de Elisabeth de Hoensbroeck que naquit François-Arttoine Constantin de Méan qui fut le dernier Prince-Évêque de Liège en 1792.
 

Lixhe et Nivelle

En 1794, lorsque les Français envahirent définitivement le pays de Liège, l’ancienne Seigneurie de Nivelle fut divisée en deux communes : Lixhe, Nivelle, Loën, avec Enixhe au bord du Geer, formèrent la commune de Lixhe, département de l’Ourthe, chef-lieu Liège. Les villages de Lanaye et Petit-Lanaye avec le château de Caster formèrent la commune de Lanaye département de la Meuse inférieure, chef-lieu Maestricht. Le vieux moulin banal au bord du Geer tomba en territoire d’ Eben, l’enclave de Castert-lez-Eysden avec le moulin banal sur la Voer et la grande île de Nivelle furent rattachés à la Commune de Eysden. Ainsi fut démembré ce qui fut pendant tant de siècles la Vouerie de Nivelle.